« WE SENTIRE BETRAYED», Déplore Petra Braun, une Allemande du sud qui, avec son partenaire Peter Wengerodt, dirige Hansel & Pretzel, une épicerie et boulangerie allemande à Richmond, en banlieue de Londres. Depuis qu’il a quitté l’Union européenne il y a un peu plus d’un mois, le gouvernement britannique, autrefois accueillant, a rendu extrêmement compliqué et coûteux l’importation de saucisses, de pâte d’amande, de fromage blanc, de compote de pommes et d’autres produits de base authentiques. Cette année, elle n’a encore reçu aucune des livraisons hebdomadaires de marchandises de son pays natal.
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Le revers des maux de tête pour Mme Braun, dont la petite entreprise emploie 15 personnes, est une migraine pour les grands exportateurs allemands, dont certains lui fournissent les ingrédients de sa cuisine. Deutschland AG n’a jamais été un grand fan du Brexit. Mais l’accord commercial qui s’est précipité avant la fin de la période de transition à minuit le 31 décembre a rassuré les patrons allemands. Un mois après le début du nouveau régime, «les problèmes de chaîne d’approvisionnement frappent très durement les entreprises allemandes», déclare Joachim Lang de BDI, la principale association de l’industrie allemande.
Et ça va empirer. Le commerce a ralenti à cause du covid-19. Dès qu’il reprend, les liens commerciaux vont faire l’objet d’un «stress test massif», prévient M. Lang. En avril, les douanes britanniques introduiront de nouvelles règles (telles que la notification préalable et la paperasserie sanitaire pour les produits d’origine animale), suivies en juillet de contrôles physiques.
Le 9 février, l’Association des chambres allemandes de l’industrie et du commerce a déclaré que 60% des 1 200 entreprises allemandes faisant des affaires avec la Grande-Bretagne étudiées considèrent que leur situation commerciale actuelle en Grande-Bretagne est mauvaise. Presque autant de personnes s’attendent à une nouvelle détérioration cette année. Une personne sur six a déjà déplacé ses investissements hors de Grande-Bretagne ou envisage de le faire. Ils considèrent la bureaucratie liée aux douanes comme leur plus grand risque commercial, suivie par la logistique et l’incertitude juridique.
Sans la pandémie, ces problèmes feraient la une des journaux en Allemagne, déclare Ulrich Hoppe, directeur de la chambre germano-britannique de l’industrie et du commerce à Londres. En janvier DB Schenker, un géant allemand de la logistique, a arrêté d’expédier des envois vers la Grande-Bretagne pendant une semaine. Environ 90% d’entre eux avaient des formulaires douaniers incomplets ou inexacts, explique Maximilian Floegel de DB Schenker. La principale pierre d’achoppement a été la preuve de l’origine de la UE requis en vertu de l’accord commercial entre le bloc et la Grande-Bretagne. C’est difficile de se procurer, par exemple, une chaussure fabriquée en Italie avec une semelle importée de Chine. DB Schenker a mis en place un groupe de travail sur le Brexit pour aider les clients avec la bureaucratie douanière. Mais, dit M. Floegel, «le problème reste aigu.»
En décembre BMW, qui a transféré de manière préventive la production de moteurs de la Grande-Bretagne à l’Allemagne en 2019, a averti qu’un Brexit sans accord coûterait des centaines de millions d’euros, que le constructeur automobile répercuterait sur ses clients en Grande-Bretagne et sur le continent. Au moins BMW avait les ressources nécessaires pour se préparer aux contrôles douaniers de janvier et pour stocker des pièces automobiles en Grande-Bretagne. Les multinationales de poche du Mittelstand allemand font face à une lutte transmanche encore plus grande.
Prenez Schott, un créateur de partitions de 250 ans pour lequel la Grande-Bretagne est le deuxième marché. L’entreprise familiale a commencé à s’inquiéter à la fin de l’année dernière des tarifs perçus sur chaque pièce classique. Des retards à la frontière pourraient laisser les orchestres britanniques qui louent ses partitions incapables d’obtenir les partitions à temps pour les répétitions, une fois celles-ci reprendre. Ce ne sera pas la dernière des conséquences involontaires du Brexit. ■
Cet article est paru dans la section Affaires de l’édition imprimée sous le titre « De mauvais à wurst »